Les choses faites

Pour ou contre l’aide-mémoire? Fondamentalement, si c’est important, on va s’en souvenir, non? Et c’est pas un peu stressant, les to-do lists? Il existe une école de pensée selon laquelle il faudrait plutôt lister les tâches accomplies plutôt que celles à accomplir. C’est cute, mais je n’adhère pas, d’autant plus qu’il est beaucoup plus satisfaisant de biffer «IMPÔTS» que de simplement écrire «IMPÔTS».

Moi: Ah *juron inapproprié pour le site Latibulle*! Les impôts! C’est pour quand ça déjà?

Le chum: Mai.

Moi: ...

Le chum:

Moi: Ah ben. T’as raison. (Silence incrédule.)


Ce qui est particulier ici, c’est que depuis huit mois, je procède à l’envers: je répertorie les choses que ma fille a faites. Une genre de to-do list du passage de ses caps. Rien à biffer, néanmoins l’exercice demeure très satisfaisant. Relire certains passages provoque une petite décharge émotionnelle, comme lorsqu’on touche l’interrupteur après avoir marché sur du tapis en chaussettes. Certaines anecdotes, bien que banales, font plaisir à revisiter. 

Comme la fois où elle a tenté de m’assassiner. Flashback.

Il neige raide sur la garnotte des trottoirs. Une petite séance lecture me semble appropriée avant la sieste de l’après-midi. J’installe l’héritière sur notre lit, lui tend son anneau de dentition, celui qu’elle utilise pour nous gouverner tous, et choisis un beau livre artsy, cadeau de son géniteur artsy. C’est l’histoire d’un carré qui veut faire plaisir à un cercle. Il essaye de faire une sculpture à son image mais constate que c’est plutôt difficile. Bref. Pédagogique au boutte, esthétique à souhait. 

Soudainement, le ciel se couvre. J’entends dans le lointain les Cavaliers de l’Apocalypse. Ou une souffleuse, c’est pas clair. C’est son cue. Ma fille projette son anneau à l’autre bout de la pièce. Frodon aurait pas fait mieux. Alors que la souffleuse de l’Apocalypse dévore les congères, elle, la chair de ma chair, se met à me gifler de ses paumes potelées rendues moites par sa bave froide. Le carnage est d’une violence inouïe. Elle accompagne la scène de hurlements stridents et anormalement joyeux. La version poupon de The Revenant.

Rendue dans la salle de bain, après l’avoir couchée...

Moi: Ah ben * autre juron inapproprié pour le site Latibulle* de *gros mot de votre choix*...

Mon œil gauche est ensanglanté. La plaie est une coupure sombre d’un centimètre de laquelle s’échappe le sang qui voile mon œil comme un smog écarlate.

Elle visait certainement la jugulaire. Dieu merci, il lui reste beaucoup à apprendre en matière de motricité fine. Enfin. Deux jours d’antibiotiques et une semaine de larmes artificielles plus tard, l’œil est presque rétabli et mon amour pour elle toujours inconditionnel. Certains appellent ça le syndrome de Stockholm. Qu’est-ce qui l’a poussée à agir de la sorte, de nulle part, sans raison apparente? S’est-elle insurgée contre le destin du carré? La météo atypique, résultat de notre inertie environnementale? La convention sociale qu’est la sieste? «Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point», dit Blaise Pascal.

C’était le 14 février. Ce jour-là, elle a essayé de me dessiner un cœur dans l’œil

Ce jour-là, même si je n’allais probablement pas l’oublier, j’ai ajouté «Couper les ongles du bébé» sur ma to-do list.

Le chum: C’est ma job, ça!

Moi: Ah ben. T’as raison.

Au plaisir,

MSBe