L’ingrate

Ma fille ne m’appelle plus “maman”. Je l’ai accouchée pendant pratiquement une journée entière. Je l’ai allaitée souvent et longtemps. Je l’ai réconfortée la nuit souvent et longtemps, au point de m’en barrer le dos. Je gère sa garde-robe, ses vaccins, sa vie sociale. Et elle m’appelle...“papa”.

Moi: L’INGRATE.
Le chum: Franchement. C’est pas si-
Moi: J’AI DE LA PEINE.

Oui, ça me fait une p’tite émotion en grosses majuscules, bon. Il n’y a toutefois pas que le géniteur et moi qui sommes d’heureux “papas”; c’est le cas d’absolument tous les hommes qu’elle croise dans la rue et qu’elle pointe jovialement en gazouillant : “Papa!”. Je pense que la petite vlimeuse tente insidieusement de me faire une réputation en insinuant devant tous qu’elle serait le résultat d’une histoire d’un soir... Spéciale dédicace à Marie Denise Pelletier.

Cela dit, au début le “maman” s’appliquait à tout. Était “maman” moi, mais aussi son jouet préféré, sa doudou, la chaise. Maman était l’oiseau. Maman était papa. En fait, maman était l’objet de sa fascination, de son réconfort, de sa joie. Elle a rapidement compris que “maman” répondait à un besoin, assouvissait un désir, chassait l’inconfort.

Comme quoi “maman”, au stade protozoaire du terme, dépasse largement le cadre du lien biologique. Maman est le bonheur du jouet préféré. Le réconfort de la doudou. Le soutien de la chaise. La beauté de l’oiseau. La force d’un papa, le sien et tous les autres.

Il y a longtemps que je ne souligne plus que l’aspect biologique de la maternité à la fête des Mères. Ce serait ingrat pour ma belle-mère, toutes ces mères d’amis et petits amis passés qui m’ont prise sous leurs ailes quand je suis brièvement devenue un chapitre de leur existence, mes tantes, mes grands-mères. Il y a aussi ces figures plus lointaines à qui je dois beaucoup, des femmes fortes qui ont veillé sur moi et m’ont construite, comme si j’étais leur propre fille : des enseignantes, patronnes, voisines, professionnelles de la santé et autres seconds violons dont je fredonne encore la douce mélodie en souvenir de leur passage dans ma vie.

Une mère fait bien plus qu’enfanter. Elle élève. Au-delà de la caste maternelle. Vers le meilleur et pour le mieux. Je n’enlève rien aux mères bios dont j’ai rejoint l’équipe il y a presque deux ans maintenant et je suis agressivement contente de recevoir mon bricolage précaire confectionné à la garderie. Je n’en suis pas pour le moins consciente que Boulette est une petite humaine exceptionnelle car elle reçoit l’amour de tant de femmes qui, sans l’avoir portée dans leurs ventres, la bercent dans leurs cœurs à chaque instant. 

Comme l’économie circulaire qui cherche à donner une nouvelle vocation à des objets inusités, le rôle de mère peut être récupéré par plusieurs, parfois à leur insu.

À vous toutes donc, je dédie cette journée de la fête des Mères. Merci.

Au plaisir,

MSBe