Joyce Echaquan

Kuei Kuei,

 

Ça veut dire “Bonjour” en innu et aussi en atikamekw. 


Plus jeune, j’ai eu l’immense privilège d’aller à la rencontre de la culture Innu et d’être confrontée aux injustices auxquelles les peuples autochtones ont fait face dans notre passé collectif. Je suivais ma tante, amie et gérante de Florent Vollant à l’époque, dans ses spectacles un peu partout au Québec, chez lui à Maliotenam. Lorsque j’ai été invité au mariage de son fils, c’est la fierté de tout un village que j’ai eu la chance de célébrer. Autour d’une table de cuisine toute simple, Anita sa femme m’a fait déguster le meilleur saumon que j’ai mangé de ma vie. Je ne sais pas si c’est parce qu’il avait été pêché par le voisin qui avait appris de ses ancêtres comment le pêcher, je ne sais pas si c’est parce que ce saumon a nourri plus de 15 personnes pendant 2 jours, ou parce que le premier soir, en écoutant les histoires de chacun, on grignotait ensemble la chair succulente sur les os du saumon décortiqué sortis du four, ou encore parce que le lendemain nous l’avons fait fumer sur une pointe du Fleuve à la vue infini pendant 8 heures de temps … J’ai ma petite idée pourquoi le meilleur saumon que j’ai eu la chance de partager c’était chez Florent et non dans un resto huppé urbain. Mais ça c’est une autre histoire. 


L’histoire que je veux partager aujourd’hui, c’est une histoire de mémoire. Notre mémoire, celle qui nous unit mais qu’on a souvent tenté d’oublier. La mémoire coupable de notre passé. L’oubli de cette mémoire, de notre histoire entraîne la violence et la cruauté que Joyce Echaquan a subies et qu'on fait subir à tous les peuples autochtones encore aujourd’hui. 


J’ai souvent entendu un peu partout (médias, connaissances, opinions publiques, etc.) des préjugés graves et lourds envers les peuples millénaires, envers les humains qui ont toujours eu notre pays comme Terre-mère, ceux qui sont depuis toujours en symbiose avec la nature, ceux qui l’écoutent et la respectent, ceux qui ne demandent qu’à être eux-mêmes ici. On leur attribue des étiquettes qui ne leur appartiennent pas, qui ne les définissent pas. Les stratagèmes de nos gouvernements passés et actuel pour faire taire leur voix sont nombreux, mais je me souviens d’une histoire que Florent m’a déjà partagé… son histoire à lui, pas celle que l’on retrouve dans nos livres d’histoire du secondaire. 

 

** Je ne possède pas les qualités de Florent pour raconter les choses. Lui a un don, il a toujours le mot juste, équilibré et dosé entre la grammaire et l’imaginaire. Il sait te faire vivre ce qu’il raconte et la musique de sa voix partage toute l’émotion de son vécu. Aussi, comme toute chose, c’est mon souvenir à moi que je raconte ici et non pas littéralement son histoire.

 

Je me souviens... qu’il m’avait partagé être né au Labrador dans la liberté avec les siens, qu’à l’âge de 4 ans, des inconnus étaient venus le prendre lui et sa fratrie (6 frères et soeurs) des bras de sa mère pour l’envoyer très loin, des milliers de km plus loin, pour le planter dans un pensionnat.  Là, on a coupé ses cheveux, on lui a interdit de dormir dans la chaleur de ses frères et soeurs comme il en avait coutume, on lui a interdit de parler sa langue, on lui a interdit sa culture, on l’a déraciné. Je vous laisse imaginer ce que ça peut avoir comme conséquences sur un enfant d’être arraché à ses parents et déraciné de sa maison, de sa langue maternelle. Oh by the way, c’était légitime tout ça, sanctionné par le gouvernement, c’était la loi. On prend tes enfants et tu n’as pas le choix, sinon c’est la prison. 

 

(PARENTHÈSE --- 2020, je suis maman d’un petit garçon de 3 ans, et si je change sa routine du soir pour lui donner le bain avant le souper au lieu du bain après le souper… ben j’en ai pour 3 semaines de RÉACTIVITÉ chez mon petit. So you know ... FIN DE LA PARENTHÈSE)


Pendant ce temps, on n’est plus au Labrador, non... on arrive à Maliotenam, près de Sept-Îles. Parce que les parents de Florent, grands-parents et sa communauté ont également été forcé de quitter leur territoire parce que les mines nouvellement installées au Labrador rendaient l’eau des rivières de la région imbuvable, elle était rouillée. Alors, on les déménage comme une boîte méli-mélo de choses qu’on ne sait pas où placer et on leur dit qu’ils avaient maintenant le “droit” de vivre dans un ghetto à Maliotenam à côté de l’autoroute, dans un village qui aura des problèmes d’eau potable pendant encore plusieurs décennies. Mais inquiétez-vous pas les parents, vous allez voir vos enfants aux vacances d’été. Je peux juste m’imaginer la réflexion de  certains des ancêtres “C’est où ça les vacances d’été, on y va quand?”.

  

Bref, je me souviens qu’au moment que Florent me racontait l’histoire des siens,  j’avais réalisé à l’époque qu’il avait le même âge que mon père. Que son histoire à lui ne datait pas de l’autre siècle. Que sa mère à lui avait eu ses enfants en même temps que ma grand-mère avait eu les 4 siens. Je m’étais imaginée que c’était à mon père qu’on aurait fait ces atrocités et je réfléchissais à quel genre de réaction ma grand-mère aurait eu si des inconnus lui parlant une autre langue, étaient venus lui arracher des bras ses propres enfants. Je me demandais si son coeur de mère aurait survécu à ce genre de violence, si ses entrailles auraient un jour arrêté de la brûler vive de l’intérieur, si sa tête aurait un jour pu arrêter de tourner constamment dans tous les sens pour qu’elle puisse retrouver un sommeil profond, apaisant et normal.


--- Hmmm… je ne pense pas, connaissant bien ma grand-mère, ayant eu la chance de baigner dans son amour maternel et aujourd’hui reconnaissant intimement la connexion viscérale qu’une mère a pour son enfant…. je peux vous garantir sans l’ombre d’un doute que ma grand-mère, ma mère et moi-même aurions toutes balancé nos vies à essayer d’engourdir la douleur du drame infligé, pas l’oublier non… on ne peut pas oublier ce genre de douleur, mais peut-être qu’on peut la “geler” un peu pour 2 ou 3 heures dans une journée. Mais au final, je ne sais pas, ma famille et moi n’avons pas vécu cette histoire-là.

 

Je n'ai jamais compris pourquoi on n'était pas capable de se reconnaître dans la réalité qu’on a fait subir aux Autochtones. ON AURAIT RÉAGI DE LA MÊME MANIÈRE… ou pire encore... parce que je ne pense pas que nous avons leur force en nous pour pouvoir faire du beau avec du laid comme Florent Vollant à fait avec sa vie. 


Je m’imagine aujourd’hui à la place de Joyce Echaquan, si en allant à l'hôpital pour un mal de ventre, je me faisais traiter de toutes les saloperies inhumaines inimaginables, qu’on me jugeait uniquement basé sur des vieux préjugés et puis qu’on me laissait mourir dans la douleur s’assurant de m’enlever tout forme de dignité. Je ne sais pas si dans la douleur, la force et la lucidité d’allumer ma caméra pour partager ces atrocités, protéger les miens me seraient venues. Ça prend une force surhumaine, probablement ancestrale et millénaire pour affronter ce genre d’injustice. Faut en avoir connu beaucoup, souvent, trop pour avoir des réflexes comme ça face à l’adversité. 


On vient d’arracher une mère à 7 enfants, et elle a quand même eu la force de demander justice pour sa communauté. #justiceforjoyce #nativelivesmatter