Je me souviens....plus
Texte: Catherine Gagné
Propos recueillis par MS Bérard
---Il y a quelques temps, j’ai passé une fin de semaine en amoureux à Québec, gracieuseté du village que ça prend pour élever un enfant. L’ambiance y est propice à la détente et à cette nostalgie que nous inspire notre devise "Je me souviens”, originaire de...ben voyons...tsé le gars de chose là...en tout cas… #sorryitsmymombrain
Outre le charme féérique de cette ville qui surplombe majestueusement le fleuve, Québec à de l’histoire au cœur. Chaque dalle, chaque pierre a son histoire, son personnage marquant, son lots d’horreurs et de grandiose. Le berceau de l’Amérique nordique est une ville fortifiée à coups de souvenirs dont nous nous rappelons trop peu.
Comme notre devise “Je me souviens”. D’où ça vient ça, déjà? L’amoureux et moi visitons le Parlement et l’Assemblée nationale, question de se souvenir de ce qu’on est censé se souvenir!
Entre en scène Alain Roy, historien. Alain nous prête ses lumières pour éclairer la situation.
L’explication se fait en trois temps. En 1882, l’architecte Eugène-Étienne Taché veille à la construction du Parlement. Il insère sous les armoiries de la province la fameuse maxime “Je me souviens”. Plus tard, on dira que l’expression est extraite d’une citation qu’on lui attribue, mais dont l’origine est encore nébuleuse: “Je me souviens / Que né sous le lys / Je croîs sous la rose”. Il y a encore débat entre historiens quant à la véritable intention de Taché, mais pour Alain il y aurait allusion à l’intégration d’un peuple français conquis (sous le lys) qui poursuit sa croissance sous l’empire britannique (sous la rose) du 19e siècle.
Vient 1939. Le gouvernement du Québec ajoute officiellement “Je me souviens” aux armoiries du Québec, symbole d’un Québec qu’Alain nous rappelle comme étant “catholique, français et très traditionnel”.
Finalement, la devise de Taché s’inscrit sur les plaques d’immatriculation en 1978, remplaçant ainsi le slogan “La Belle province”. En parallèle avec l’élection du Parti québécois deux ans plus tôt, Alain y voit un fort clin d’œil nationaliste. En effet, à l’époque certains prétendaient que l’utilisation du mot “province” faisait trop référence à la notion de colonie.
À la question “Pourquoi autant de mystère autour de cette devise?”, le généreux historien nous répond:
“C’est une explication polymorphe, car il y a un réinvestissement de la signification d’une personne à l’autre. On parle de cette devise dès la fin du 19e siècle, mais on ne l’inscrit seulement qu’en 1978.”
Ainsi, avant que "Je me souviens" ne soit officiellement associé au Québec, les décennies écoulées ont permis à plusieurs rumeurs et légendes de faire leur place dans les esprits. Taché n'est plus là pour se justifier, alors chacun peut se permettre d'interpréter la volonté initiale comme bon lui semble, en fonction de ses perspectives, souvent collatérales à son époque.
Bref, avec le temps, on se souvient bien de ce qu’on veut se souvenir!
Il poursuit:
“C’est un concept enveloppant, comme du tissu! Ta mémoire et ton intention s’approprient une signification plus personnelle.”
Parlant de tissu, Alain, crois-tu que les textiles ont le pouvoir du souvenir?
“Affirmatif! Le wampum, par exemple, est un vêtement autochtone devenu objet d’échange. Aujourd’hui c’est un témoin de l’apport autochtone collectif. Même chose pour certains tapis, objets de tissu qui font souvent écho à une époque spécifique.”
D’accord pour le collectif, mais sur une note plus personnelle, toi Alain, as-tu un souvenir textile à nous confier? Une étincelle passe furtivement dans son regard lorsqu’il se remémore ce veston qu’il aimait porter au cégep et le costume trois-pièces d’un autre âge qu’il arborait à son mariage, cadeau de son beau-père et acheté sur la rue Saint-Vallier. Génial! De la matière première pour un projet futur?
“Non, je n’ai pas gardé ça. Je suis plus du genre bibliothèque.”
Une fille s’essaye!
La fin de semaine s’achève et il est temps de revenir au moment présent. Je quitte la ville pour rejoindre le village qui veille sur mon fils. J’ai hâte de lui raconter nos souvenirs et d’embrasser les siens.
“Ce qui est intéressant pour un historien, c’est le passage du temps et la capacité de se réinventer et de réinvestir le passé pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui”, conclut Alain. “Il faut construire sur son héritage et non pas en porter le poids. La mémoire, pour être efficace, ne devrait pas être contraignante.”
Avant de terminer, il nous confie cette dernière phrase:
“Regarder le passé, c’est ouvrir les possibles vers l’avenir.”